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Copertina – 0002 – Harmonie universelle
21 giugno 2009, 22:27
Filed under: Copertine

Volume I della “Harmonie Universelle” (Paris, 1636) di Marin Mersenne, nella edizione in fac-simile del 1975 a cura del Centre National de la Recherche Scientifique.

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La riproduzione completa dell’ Armonia Universale
nella prima edizione (S. Cramoisy – 1636)
e’ resa disponibile in formato digitale dalla Biblioteca Nazionale di Francia .
E’ possibile consultarla on-line, oppure stamparla o farne il download a partire ad esempio dal seguente indirizzo web :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5471093v.r=Harmonie+Universelle.langEN

La riproduzione completa di un altro libro di Marin Mersenne di argomento correlato, le “Questions physico-mathematiques”, del 1635, e’ disponibile on-line, ad esempio
qui



Recensione de l'”Harmonie Universelle”

di A. Machabey. apparsa nel 1964 in Revue d’histoire des sciences et de leurs applications, 1964, vol. 17, n° 2, pp. 172-174.

Marin Mersenne, Harmonie universelle, contenant la théorie et la pratique de la musique, Paris, 1636,
éd. fac.-s. de l’exemplaire conservé à la Bibliothèque des Arts et Métiers et annoté par l’auteur,
introduction par François Lesure, Paris, C.N.R.S., 1963, 3 vol. br., 19 x 27 cm en étui. Prix : 150 F (1).

On s’étonnera peut-être de voir un ouvrage consacré à la musique mentionné dans cette revue ; on ne doit pas s’attendre à y découvrir — et pour cause ! — les différentielles et les intégrales qui pullulent dans les traités modernes de Bouasse ou de Mercier. Mersenne se borne à l’arithmétique, au calcul combinatoire élémentaire, mais il en tire une telle profusion de conclusions que l’histoire des sciences ne peut se désintéresser de la réapparition photographique de ce document unique dans le domaine musical et technique. On ne connaît guère qu’une cinquantaine d’exemplaires de VHarmonie universelle (F. Lesure, VII) disséminés dans les Bibliothèques françaises et étrangères : c’est avec raison qu’on a choisi celui des Arts et Métiers, riche d’importante? corrections et de nombreuses notes marginales de Mersenne — et qui servira désormais d’encyclopédie musicale du xvne siècle aux chercheurs de tous ordres. Il n’est évidemment pas dans mon dessein d’analyser les descriptions, calculs allusions rassemblés dans cette Somme. Mersenne a d’ailleurs pris soin de dresser en tête de son travail l’inventaire de ses Propositions, et d’y joindre une table — beaucoup trop sommaire hélas ! — des termes principaux qui fourmillent dans ses 19 livres. On rappellera seulement trois ou quatre points qui peuvent mettre en relief le caractère divers de ces 1 500 pages compactes — non particulièrement au point de vue de la convenance des sons à l’oreille musicale, mais à celui de l’évolution d’une technique dominée par le nombre. D’abord un fait capital (et d’ordre artisanal) pour toute la musique moderne : le tempérament égal. Les musicologues attribuent à Werkmeister la théorie (1691) et à J.-S. Bach la pratique (1722) des « demi-tons égaux ». Or, dès le courant du xvie siècle, les joueurs de clavier — et au xvne, le prestigieux Frescobaldi (cf. Doni) — accordaient couramment leurs instruments sur le tempérament égal. Quant à Mersenne, il préconise à plusieurs reprises l’emploi des « demi-tons égaux » dont il fournit les valeurs (liv. I, Inst., 38 pass.) ; sans doute ne sait-il pas calculer — 12/- à notre manière 212 ou y2; mais il demande à Beaugrand d’insérer 11 moyennes proportionnelles entre les deux sons d’octave : les coefficients qu’il expose sont

(1) T. I. : Introduction, vin p. ; Préface, tables, 56 p. ; Livre I, 230 p. ; Traité de Roberval, 36 p. T. II : 180 p. ; Préface ; 442 p. T. III : Préface ; 412 p. ; 80 p. ; 68 p. ; 28 p. ; tableau et notes mss, 9 p.

ANALYSES D’OUVRAGES 173

alors ceux mêmes que nous obtenons (1/2 ton = 105946 ; mais il faudrait 8 chiffres). Pourquoi insiste-t-il sur les 1/2 tons égaux ? Pour le plaisir de l’oreille ? Absolument pas : il veut faciliter aux facteurs de luths le placement des sillets sur le manche ; aux organiers, l’accord de leurs tuyaux (ibid., p. 37 ss.).

Autre témoignage du sens pratique de Mersenne. Au livre III des Instruments à cordes, il a expérimenté ces cordes sous le rapport de la longueur, du diamètre, du poids, de la matière, de la tension et établi des tables numériques parmi lesquelles… la Tablature des sourds, qui leur permet d’accorder un luth, une viole, une épinette d’après les paramètres des cordes et sans recourir à l’oreille (on sait qu’aujourd’hui ce paradoxe de Mersenne est réalisé grâce aux appareils électroniques d’accordage à lecture visuelle).

Faut-il rappeler que le Minime découvre les premiers harmoniques d’une corde vibrante (l’octave, la douzième, la dix-septième) (liv. IV des Instruments, prop. IX, p. 208) et qu’il les retrouve dans les tuyaux d’orgue, dans la voix humaine ? Il a remarqué et souligné aussi qu’un même son correspond toujours au même nombre de vibrations (« retours », battements, frémissements), fût-il produit par une corde, le bord d’une cloche ou le larynx. (Il en tire le principe d’un diapason, ibid. 149.)

S’il affirme en toutes occasions la supériorité pratique des demi-tons égaux, il n’ignore pas pour autant les multiples tentatives qui, de 1550 à 1650 env., et dans l’engouement des doctrines grecques antiques, ont pour but la construction des clavecins ou des orgues « enharmoniques » et il imprime les dessins minutieux de claviers à 12, à 17, à 19, à 27, à 32 touches à l’octave, indiquant pour chacune d’elles le nombre relatif qui lui convient. (L. Orgues, 350 ss.) Il connaît, décrit et tente d’expliquer le phénomène de résonance, au sens exact du terme (vibration par influence) et non au sens erroné (production des harmoniques) que lui donnent encore les musiciens ; il expose la théorie et la pratique curieuses du serpent (cf. Bouasse), etc.

Nous savons ce qu’on peut reprocher au « commis voyageur des savants » : son texte surabondant, ses digressions, par exemple les propositions relatives à la chute des corps qui passionnait alors les physiciens, l’insertion du Traité de mécanique de Roberval, celui de Chant de Desargues ; l’emploi de nombres interminables : les chants qu’on peut former avec les 22 degrés diatoniques (3 octaves) sont représentés par un nombre de 60 chiffres ; le poids de la Terre proposé par Stevin est, en livres, de 24 suivi de 23 zéros, qu’il écrit un à un au lieu de 24. 1023 ; la quasi- répétition des mêmes propositions dans des livres différents — ses cours de géométrie pratique, etc. Mais de telles imperfections sont infimes comparées à l’amoncellement inestimable d’observations précises — relevées in vivo — qu’il a consignées dans VHarmonie universelle et que non seulement le musicologue, mais le philosophe et le scientifique consultent toujours avec fruit. Il faut, en effet, insister sur la surprenante diversité des sujets qu’il aborde avec compétence ; ce Révérend Père minime compose des Mauresques dans le 10e mode et parle de la danse comme jadis Toinot Arbeau ; il décrit la construction du luth à croire qu’il en a fabriqué lui-même ; il mentionne les automates, formule la théorie des cloches, transcrit les batteries de tambour ou le boute-selle aussi facilement que le contrepoint ; c’est par lui que nous savons qu’on se servait déjà de cordes de laiton, et parfois de cordes d’or ou d’argent pour l’épinette ; il connaît la Roma Sotterranea de Bosius (sic), la prosodie antique, cite non seulement les théoriciens, musiciens

174 revue d’histoire des sciences

et personnages notables de son temps, mais la plupart des savants d’Archimède ou Ptolémée à Boulliau, d’Aristote à Galilée ou Fermat ; traite de la quadrature du cercle ; fait une longue étude de Vécho ; touche à la réfraction, aux expériences de balistique, discute de la densité de l’air, ou de la diction des prédicateurs, et prévoit notre métronome (1. III, Inst., p. 149) (1). Chez lui, tout est observation et en quelque sorte artisanat ; mais la facture d’une viole, d’un cornet à bouquin, d’un orgue est une synthèse de nombreux et vieux savoirs, de traditions secrètes d’atelier ; en l’analysant dans les textes et les excellents dessins de Mersenne, il est souvent possible de remonter aux principes de base d’où elle dérive à travers de multiples et parfois séculaires essais (v. précisément, à titre de jalons, les très beaux dessins cotés de clavecin et de luth d’Arnault de Zwolle vers 1440).

Ce souci d’objectivité, d’exactitude, d’utilité, dépouillé de toute préoccupation a prioristique, mystique ou métaphysique, a été souligné par le regretté Lenoble : « II (Mersenne) a cessé d’être scolastique : ses Traités de 1634 et son Harmonie universelle de 1636 ont marqué la rupture… Réserve faite des vérités de la foi, pour tout le reste Mersenne est positiviste : les moins systématiques des méca- nistes seront ses préférés » (2).

Grâce à cette réimpression, dont le prix reste abordable, bien des chercheurs seront affranchis de séances prolongées à la B.N. ou aux Arts et Métiers ; le manuscrit (ms. fr. B.N. 12357) qui renferme la plupart des notes marginales et corrections de Mersenne perd lui-même beaucoup de son importance (il est cependant parfois plus facilement lisible que les écritures minuscules de l’original) ; certains des résultats atteints par le Minime sont dépassés, périmés (vitesse du son, gravité, etc.) ; mais ses erreurs, les raisonnements, les calculs qui y conduisent font partie de l’histoire, sont les étapes de l’histoire (« Plurimi pertransibunt et auge- bitur scientia », écrivait déjà F. Bacon) — et laissent toute leur valeur à la multitude des théorèmes, des chiffres, des conclusions reconnus exacts et devenus parfois — comme les harmoniques ou la résonance — les germes de théories modernes fécondes.

Ce n’est donc pas seulement la musique qui sollicite une place dans cette revue, mais bien un chapitre, il est vrai très spécialisé et en revanche profondément scruté de la science et de la technique (3).

A. Machabey Sr.

(1) Fondé sur le pendule battant la seconde, d’une longueur de 3 pieds 1/2, soit env. lm,12 (au lieu de 0m,994 env.).

(2) R. Lenoble, Mersenne et la naissance du mécanisme, thèse, Paris, 1943, pp. 49-50; Traités de 1634, pp. xvur ss. ; Bibliographie de Г Harmonie universelle, pp. xxi-xxv. V. l’alinéa sur l’acoustique de Marsenne, pp. 482 ss., sur sa musique, pp. 522 ss.

(3) On aura intérêt à suivre les péripéties de la rédaction et de la publication de Г Harmonie universelle, ainsi que les idées de Mersenne sur la musique dans sa Correspondance actuellement en cours de publication (par C. De Waard continuée par R. Lenoble et B. Rochot).

Pour la transposition des mesures anciennes (fréquemment utilisées par Mersenne) en mesures modernes : pied de roy, ligne, once, etc., on pourra utiliser les tableaux de la thèse récente de A. Machabey Jr : Histoire des poids et mesures depuis le XIIIe siècle, Paris, 1962.

A. Machabey. Mersenne. Harmonie universelle, contenant la théorie et la pratique de la musique, Revue d’histoire des sciences et de leurs applications, 1964, vol. 17, n° 2, pp. 172-174.

La recensione precedente deriva da :
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Aspects de l’Harmonie universelle
Anas Ghrab, septembre 2002.

– 1. Introduction
– 2. L’Unité, notion fondamentale.
– 3. L’Unité chez Mersenne
– 4. Union des battements, critère de consonance.
– 5. Du calcul des consonances à la découverte de l’incommensurabilité de l’octave.
– 6. L’incommensurabilité de l’octave et la consonance chez Mersenne
– 7. Conclusion.
– 8. Éléments bibliographiques.
– Annexe : Les médiétés, définitions.

Le Livre de Consonance dans l’Harmonie Universelle de Marin Mersenne : une brève présentation à travers ses fondements philosophiques et historiques.

Questo testo e’ tratto da :
http://www.saramusik.org/rubrique.php3?id_rubrique=49

1. Introduction
Anas Ghrab, lundi 2 septembre 2002. [2003-05-21 20:27:27]

Le concept de « l’harmonie universelle » a une longue histoire. Même s’il se concrétise dans la pensée grecque avec l’école pythagoricienne, puis arabe, chez ʻIḫwān al-Ṣafāʼ par exemple, ses origines remontent certainement plus loin dans l’antiquité, notamment mésopotamienne et égyptienne. Notre intérêt pour cette œuvre de Marin Mersenne vient du fait que c’est le dernier grand aboutissement que nous connaissons de ce concept. Cette grande œuvre de Marin Mersenne, témoignage de sa connaissance encyclopédique, fut édité en 1636, deux ans après l’apparition des Questions Inouyes qui contiennent Les Préludes de l’Harmonie Universelle. C’est à travers ces différents questionnements, présents dans les Préludes, qu’on pourra se faire une idée de ce que c’est l’Harmonie Universelle.

Il nous est évidemment impossible ici d’aborder une œuvre aussi gigantesque que les trois volumes de l’Harmonie Universelle. Ce qu’on se propose donc est d’en présenter une partie, le Livre de la Consonance, avec une certaine conviction que celle-ci contient quelques éléments fondamentaux, que Mersenne utilisera dans divers endroits de son œuvre.

Le Livre de la Consonance se situe dans le deuxième volume de l’Harmonie Universelle. Dans ce deuxième volume, il occupe la première partie d’un traité en trois sections : Traité des consonances ; des dissonances ; des Genres, des Modes, et de la Composition. Ce traité comporte, après une lettre introductive et une préface, quarante propositions concernant les consonances. Celles-ci sont réparties sur environ 112 pages.

Le plus étonnant dans la répartition des propositions, est la partie consacrée seulement à l’intervalle d’unisson et d’octave. Après la première proposition de cinq pages sur des généralités concernant les consonances et les dissonances, Mersenne aborde l’unisson sur 29 pages et l’octave sur 26, soit la moitié du livre à ces deux consonances. Ceci est dû, comme on le verra, à l’importance conceptuelle accordée à l’unisson, émanation de l’un, et aux intervalles simples d’une manière générale. Les propositions XVII-XXI abordent la quinte et ses renversements. L’intervalle de la quarte est discuté dans les propositions XXII-XXVII, et les autres consonances sont traitées, avec leur renversements, jusqu’à la proposition XXXIII. Cette dernière résumera toutes les consonances déjà exposées.

Le reste des porpositions du livre aura pour but d’élargir le calcul des intervalles à toutes les consonances considérées comme possible par Mersenne. Afin de systématiser ce calcul, l’auteur aura recours à un procédé hérité de l’antiquité grecque : le calcul des médiétés, qu’il appelle “raison”. Il s’agit de déterminer les milieux arithmétique, géométrique, et harmonique de chaque intervalle [1].

Il ne sera pas question ici de présenter chaque proposition indépendamment, mais d’une lecture générale. Celle-ci essayera de dégager à travers les longs et aventureux développements de Mersenne, les idées principales, tout en cherchant à montrer leur origines philosophiques et historiques.

[1] Pour les définitions des médiétés, cf. Annexe.

2. L’Unité, notion fondamentale.
Anas Ghrab, lundi 2 septembre 2002. [2003-05-21 20:28:59]

« Cette histoire a commencé il y a bien longtemps, on ne sait trop où. L’homme alors incapable de concevoir les nombres en eux-mêmes, ne savait pas encore « compter ». Tout au plus était-il capable de concevoir l’unité, la paire et la multitude ? » [1] C’est à cette époque-là que l’idée de l’unité commence à s’installer dans l’esprit humain. Elle était née afin de combler un besoin logistique quotidien (par exemple, dénombrer le nombre de moutons en faisant correspondre à chaque mouton un cailloux). Ceci est avant même que des expressions comme « un », « deux » ne fassent partie du langage. Au fur et à mesure que les civilisations se développent, l’idée d’une unité de base d’où dérivent les autres nombres s’affirme.

A l’époque grecque, les historiens des mathématiques s’accordent sur le fait que l’innovation principale est l’établissement d’une réflexion abstraite sur les nombres [2]. Mais même dans ce nouvel univers, un concept fondamental est resté immuable : l’indivisibilité de l’unité. Le passage suivant dialogue entre Socrate et Glaucon concernant la supériorité de la science des nombres, illustre bien cette vision :

– S : […] Tu sais en effet ce que font les gens habiles en cette science : si l’on essaie, au cours d’une discussion, de diviser l’unité proprement dite, ils se moquent et n’écoutes pas. Si tu la divises, ils la multiplient d’autant, dans la crainte qu’elle n’apparaisse plus comme une, mais comme un assemblage de parties.
– G : C’est très vrai, dit-il.
– S : Que crois-tu donc, Glaucon, si quelqu’un leur demandait : « Hommes merveilleux, de quels nombres parlez-vous ? Où sont ces unités, telles que vous les supposez, toutes égales entre elles, sans la moindre différence, et qui ne sont pas formées de parties ? » que crois-tu qu’ils répondraient ?
– G : Ils répondraient, je crois, qu’ils parlent de ces nombres qu’on ne peut saisir que par la pensée, et qu’on ne peut manier d’aucune autre façon.
– S : Tu vois ainsi, mon ami, que cette science a l’air de vous être vraiment indispensable, puisqu’il est évident qu’elle oblige l’âme à se servir de la pure intelligence pour atteindre la vérité en soi. [3]

Ainsi, que ce soit dans le monde sensible ou intelligible, l’unité est source et origine de toute chose. Toute construction se forme à partir de petites unités égales. Cependant, l’unité elle même n’est saisissable qu’avec l’intellect, et demeure indivisible [4].

[1] Georges IFRAH : Histoire universelle des Chiffres. édit. Robert Laffont, S.A. Paris, 1981, 1994, p8.

[2] Voir les ouvrages de M. CAVEING, A. SZABO, R. TATON.

[3] Platon : La république (526a)

[4] Pour plus de développement à propos de l’indivisibilité de l’unité voir M. CAVEING, la figure et le nombre, p 180.

3. L’Unité chez Mersenne.
Anas Ghrab, lundi 2 septembre 2002. [2003-05-21 20:36:35]

La pensée pythagoricienne antique veut que les mêmes mécanismes qui gouvernent l’univers soient à la base de ceux qui régissent ses composantes. Pour un personnage pieux comme Mersenne, c’est Dieu qui constitue cette force supérieure. Il sera le modèle des autres interactions. [1] Marin Mersenne n’aborde pas l’unité dans un chapitre ou un paragraphe précis ; son universalité fait qu’elle est évoquée tout au long de l’ouvrage. Cependant, dans le livre de la consonance, l’unité est toujours mise en parallèle avec l’unisson. Celle-ci est considérée comme première consonance à partir de laquelle dérivent les autres, à l’image de l’unité qui donne naissance aux autres nombres. [2] La nature des nombres et de l’unité veut qu’ils peuvent être pensés soit abstraitement , comme d’a expliqué Platon, chaque nombre est un ensemble d’unités saisies par l’intellect ; ils font ainsi partie du monde intelligible, supérieur et, dans le cas de Mersenne, nous rapprochent de Dieu. Ou bien, ils peuvent être plus proche du monde physique, par le nombre logistique, et deviennent donc un élément quantitatif du son. De ce fait, l’unité est tantôt l’image de Dieu, tantôt la représentation de l’unisson (qui est la relation 1 à 1). Ceci se dégage bien dans la citation suivante, où les nombres servent de milieu intermédiaire pour mettre en valeur l’analogie entre la représentation de la divinité et les relations entre les trois premières consonances (Unisson, Octave, Quinte) :

« Or l’on peut considérer que les trois nombres qui servent à expliquer le mystère de la Trinité, servent aussi à expliquer ces trois Consonances, car l’unité représente la divinité, et Dieu le Père ; le binaire représente le Fils, et le ternaire le Saint Esprit. Semblablement l’unité représente l’unisson, qui est d’un à un [3] ; le binaire est le propre nombre de l’Octave [4], ou de l’unisson répété ; de sorte que l’on peut dire que l’unisson est à l’Octave comme un est à deux : et la quinte est représentée par le ternaire qui contient encore la Douzième. [5] » (p. 60)

Des caractéristiques importantes sur lesquels insiste Mersenne figure l’idée que la beauté et l’agréable proviennent de la simplicité. Or, l’unité et l’Unisson sont bien les représentants de la simplicité. Selon Mersenne, si certains ne prennent pas plaisir à l’écoute de l’unisson, c’est parce qu’il n’ont pas l’esprit assez élevé pour contempler l’unité dans sa simplicité, et ne parviennent pas à s’arrêter à la présence divine indépendamment des êtres visibles [i]. L’unité est aussi synonyme d’union et d’amour entre les créatures, alors que la diversité est source de tyrannie sur les esprits [i].

Ainsi, l’unité chez Mersenne se présente toujours comme l’élément suprême, fondement de toute chose et source de contemplation divine.

[1] « …les consonances dépendent de l’unisson, comme les lignes du point, les nombres de l’unité et les créatures de Dieu… » (p. 15).

[2] « […] la nature de l’homme commence [là] où celle des Anges finit ; les animaux, les plantes, et les autres choses se suivent de même façon, et toutes ensemble dépendent entièrement de Dieu, comme les Consonances dépendent de l’Unisson, et les nombres de l’unité. » (p. 73).

[3] Si on multiplie une fréquence par 1, on obtient la même fréquence, c’est-à-dire un unisson.

[4] Le chiffre 2 représente l’octave car une fréquence donnée multipliée par 2 donne l’octave, le rapport de fréquence est 2 :1. La division par deux, c’est-à-dire le rapport un à deux donne le même résultat, mais à l’octave inférieure.

[5] C’est avec le chiffre 3 que la quinte prend place. Celle-ci est soit considérée par rapport à l’octave, le chiffre 2, et le rapport 3 : 2 donne la quinte, soit par rapport à la fondamentale 1 avec un rapport 3 :1 qui donne l’octave plus quinte, c’est-à-dire la douzième.

[i] Idem, p. 15.

[i] Idem, p. 18.

4. Union des battements, critère de consonance.
Anas Ghrab, lundi 2 septembre 2002. [2003-06-02 22:39:15]

Interne à l’intervalle

La nouvelle vision de Mersenne dans l’appréciation de la consonance mérite d’être développée. Celle-ci est basée non pas sur les relations entre longueurs de cordes mais sur l’union des nombres de battements de l’air. Si cette manière de présenter les consonances a déjà été préparée à la fin de la proposition X concernant l’octave, puis la quinte (prop. XVIII), son application la plus significative concernera la quarte (prop. XXV). Ceci est peut-être dû au statut particulier qu’occupe cet intervalle. On sait qu’il a été souvent considéré comme dissonance, et Mersenne nous rapporte que certains le prennent comme un “mal nécessaire” (p. 62).

Concernant l’intervalle de quarte

Après avoir montré le rapport de fréquence de la quarte (4 à 3) et les différentes manières de l’obtenir par la division de la corde (diviser la corde en quatre, ou en sept, prop. XXIII et XXIV), Mersenne aborde la question de la consonance de la quarte. Il rappelle que celle-ci était considérée comme non consonante car les musiciens ne la jugeaient pas bonne avec la basse dans les “Duo à simple contrepoint”. Rapidement, Mersenne écarte cette hypothèse seulement en évoquant que les grecs la considéraient comme consonance. Il explique d’ailleurs sa consonance par la division arithmétique de l’octave (2 à 1 = 4 à 2 ; le milieu arithmétique est 3 qui forme la quinte, 3 à 2 et la quarte, 4 à 3), ainsi que par sa complémentarité avec la quinte (proposition XXV). Mais, comme ces arguments peuvent ne pas sembler suffisant au lecteur, Mersenne dévoile un argument plus décisif, dont la sciencificité apparente ne permet pas de le remettre en doute (cependant, d’autres raisons justifiant le caractère consonant de la quarte seront présentés). On sait que la quarte est formée par deux cordes, la première, la plus aigue, possède 3 unités, la deuxième, le côté grave, 4 unités. En imaginant les deux sons joués simultanément, Mersenne va s’intéresser au nombre de mouvements que fait chaque corde. Sa théorie repose sur le fait que les mouvements des deux cordes s’unissent après un certain nombre de battements. Dans cet exemple, les deux sons s’unissent toujours à chaque 3 battements d’air du son grave, et à chaque 4 de l’aigu. Le deuxième battement du son grave n’a pas de correspondant avec le son aigu, et de même les deuxième et troisième battements de la corde aigue n’ont pas de correspondants avec ceux de la corde grave. Par conséquent, l’intervalle de quarte fournit 4 battements unis et 3 désunis. La conclusion de Mersenne est que la quarte tient donc plus de l’union et de l’unisson que de la diversité. “Elle a plus de bonnes choses que de mauvaises, et conséquemment, elle mérite d’être mise au nombre de consonances” (p. 71).

Comparaison du degré de consonance entre deux intervalles

Entre la quinte et l’octave

Toujours en imaginant les battements de l’air engendrés par le mouvement des cordes, Mersenne explique, à la proposition XVIII, le degré de consonance de l’octave par rapport à la quinte. Comme l’octave est obtenue par une corde de longueur 2 unités, et une corde de longueur une unité, les sons de l’octave s’unissent à chaque deuxième battement. De même la quinte est de rapport 3 à 2 ; par conséquent, ses sons s’unissent chaque troisième battement. Il en ressort que la douceur de l’octave est supérieure de moitié à celle de la quinte. La raison de douceur de l’octave à la quinte est sesquialtère (dépasse d’une moitié = 3:2). Cette “raison de la douceur” est un concept tout à fait spécifique à Mersenne.

Entre la quinte et la quarte

Mersenne semble perdre ses repères pour le calcul de la raison de la douceur entre la quinte et la quarte (prop. XXVI) : il ne proposera donc pas un seul résultat, mais au moins deux. Il commence par évaluer le degré de consonance interne à l’intervalle de quinte, qu’il n’a pas abordé auparavant. Comme déjà vu, les sons de la quinte s’unissent à chaque 3 battements de la corde aigue et 2 de la corde grave. Ainsi, de ces cinq battements, le premier et le dernier de ces deux cordes sont unis. Il n’y a que le deuxième battement de la corde aigue qui n’a pas de correspondant avec la corde grave. Quant à la quarte, de ses septs battements, elle a quatre unis, et trois désunis. De ces “observations”, il propose deux résultats :
– La quinte est deux fois plus douce que la quarte, car le son aigu de la quarte a deux battements désunis, alors que la quinte n’en a qu’un seul.
– Le quinte est trois fois plus douce (il indique ici plus “excellente”) car la quarte a trois battements désunis, les deux du son aigu plus un un provenant du son grave. La quinte n’en a qu’un.

Deuxième méthode

N’étant pas convaincu de ses résultats, Mersenne propose alors une autre manière de calculer la raison de la douceur. Celle-ci est, malgé les apparences, méthologiquement la même que celle utilisée pour le calcul de la raison de douceur entre l’octave et la quinte. Dans cette deuxième méthode, Mersenne propose de multiplier les termes de la quinte. Il obtient donc 6, ce qui signifie pour lui que les battements de la quinte s’unissent 2 fois en 6 coups. Par ailleurs, les termes de la quarte étant multiplié donne 12 coups ce qui montrent que les battements de la quarte s’unissent 3 fois en 12 coups. (C’est à dire que quand le son aigu de la quarte a battu 12 fois l’air, il aura été alors uni 3 fois avec le son grave de cette quarte). On a vu que les battements de la quinte s’unissent 2 fois en 6 coups, ce qui est équivalent à 4 fois en 12 coups. Et puisque les battements de la quarte s’unissent 3 fois en 12 coups, la raison de la douceur entre la quinte et la quarte est de 4 à 3. En d’autres termes, la quinte de un tiers plus consonante que la quarte.

Plus que de calculer une raison de la douceur, le but de Mersenne est de monter et d’expliquer pourquoi un intervalle est plus consonant qu’un autre. Si nous résumons la vision de son point de vu, un intervalle est obtenu à partir de deux cordes. Ces deux cordes vont faire vibrer l’air. Plus elle le font vibrer uniformément et en même temps, plus l’intervalle est consonant. Le plus consonant des intervalles est donc l’unisson, puisque les deux cordes, jouées en même temps, vont faire vibrer l’air parfaitement de la même manière. Les sons de l’octave s’accordent (retrouvent en même temps la position de départ) une fois sur deux, ceux de la quinte une fois sur trois, ceux de la quarte une fois sur quatre (équiv. à 2 fois sur huit, 3 fois sur douze), etc. Mersenne nous présente ici une méthode originale et tout à fait logique pour l’appréciation des consonances. Il l’a prolongera pour l’explication de toute sorte d’intervalles, dont la tierce majeur et mineur, ainsi que les deux sixtes.

5. Du calcul des consonances à la découverte de l’incommensurabilité de l’octave.
Anas Ghrab, lundi 2 septembre 2002. [2003-05-21 20:57:23]

Pythagore et le fondement de la pensée pythagoricienne :

Les premières sources, que nous possédons, relatives aux calculs des intervalles acoustiques remonte à Pythagore. La tradition lui attribue le calcul des premières consonances données par les quatres premiers nombres. La découverte fut tellement importante qu’elle a touchée tous les domaines de la recherche concernant la Grèce antique (histoire des mathématiques, la philosophie antique, l’histoire de l’astronomie). A. Szabó voit même l’origine des recherches mathématiques dans la musique . Mais comment expliquer une telle vivacité face à quatre intervalles, l’octave, la quinte, la quinte, et la double octave, qui sont de la plus grande banalité pour un musicien d’aujourd’hui ?

Avant tout, rappelons les relations saisies par Pythagore entre les nombres et les intervalles acoustiques. Si on considère la taille d’une source sonore (longueur d’une corde, taille de la partie vibrante d’un instrument à vent…) comme une unité, c’est à partir de celle-ci que les autres consonances seront établies. En effet, si le son donné par cette unité est comparé à un son donné par son double ou sa moitié, l’intervalle obtenu sera celui de l’octave (relation 2 à 1). De même pour la quinte (3 unités et deux unités), la quarte (4 unités et 3 unités), la double octave (4 unité à une unité). Que ces quatre chiffres, qui sont représentatifs d’une multitude d’éléments de la nature, dont les quatre éléments (Eau, feu, air et terre) soient ceux qui créent les premières consonances n’est que le début de l’aventure symbolique et le début d’une véritable industrie du calcul des consonances, celle-ci s’étendra sur plus de 2000 ans. Le système combinatoire suivant présente les relations déjà obtenues avec ces quatre chiffres (toutes peuvent être lues aujourd’hui en rapport de fréquence) :

1-1: unisson, l’unité de base ; 1-2: octave ; 1-3: octave+quinte ; 1-4: double octave. 2-3: quinte ; 3-4: quarte ;

Un premier résultat important est celui donné par la combinaison 2-4, qui est rassemble la quinte et la quarte. Mais 2-4 est équivalent à 1-2, en changeant d’unité de base (deux unité deviennent une unité, rappelons-nous le dialogue entre Socrate et Glaucon sur la démultiplication et la division de l’unité pour créer de nouvelle unité). Or 1-2 est l’octave. L’importance de ce résultat est de pourvoir démontrer par les nombres qu’une quinte et une quarte donne l’octave. Imaginons ce que de pareilles trouvailles peuvent signifier pour un personnage de cette époque là.

Jusqu’à maintenant, les nombres n’ont été utilisés que pour des besoins logistiques et architectural (divers constructions géométriques). Seulement à partir et pour le monde visible et concret. Tout univers lointain, dont celui des astres était insaisissable. Les sons par leur nature, à mi-chemin entre la matière (corde vibrante), et le monde supérieur, celui de l’invisible et des sensations, offraient la meilleure preuve qui appuyait le fer de lance des pythagoriciens : Tout est nombre. Par ce moyen, diverses théories ont été fondées par la suite. La plus connue est celle de la musique des astres.

La découverte de l’incommensurabilité de l’octave :

Par le procédé de la « multiplication de l’unité », pour reprendre l’expression de Socrate, des relations plus détaillées peuvent être établies. En multipliant les termes 1, 2 de l’octave par 2, on retrouve le résultat déjà connu 2-3 ; 3-4. Celle-ci contient donc une quinte et une quarte. L’opération effectuée s’appelait médiété arithmétique car le chiffre 3 est la moyenne de 2 et 4.

A un moment donnée, une deuxième succession de chiffres a été déterminée. Elle a pour intérêt de montrer la composition de l’octave, ainsi que la composition des deux intervalles qu’il contient : 6 – 8 – 9 – 12. En effet, la relation 6-12 correspond à l’octave, 6-9 est la quinte (2-3), et 9-12 est la quarte (3-4). Il s’avère dans cette présentation des intervalles que la quinte contient un autre intervalle, 9-8, qu’on a appelé intervalle du ton.

Suivant la conception répandue que tout devait être composé d’une unité fondatrice, il était indispensable que l’octave obéisse à cette règle. Le plus petit intervalle “naturellement” trouvé était alors le ton (9-8). A la déception de tous, l’octave ne peut pas contenir un certain nombre de fois le ton. Le fait que six tons ne font pas une octave a été démontré mathématiquement par Euclide d’Alexandrie (325 av. J-C), dans ses sections canoniques [1]. Mais avant lui, Archytas (vers 350 av. J-C), était certainement convaincu du phénomène, ce qui a provoqué la grande discorde entre les pythagoriciens et les aristoxéniens. En effet, Aristoxène refusant ce résultat, attribue aux mathématiques l’incapacité d’expliquer les sons musicaux : ceux-ci sont une affaire d’oreille et non pas de nombres. La première démonstration “pratique”, et non pas mathématique, de ce résultat est founit bien plus tard par Ptolémée d’Alexandrie, au IIème siècle ap. J-C. Il propose de placer huit cordes. Pour les septs premières, chaque corde dépasse celle qui la précède d’un huitième, formant ainsi des intervalles de tons 9:8 entre chacune. La huitième corde sera prise comme le double ou la moitié de la première, formant ainsi une octave avec elle. Le résultat est que la septième et la huitième corde ne sonne pas pareil ; un petit intervalle les séparent. Celui est connu de nos jours, suivant la tradition latine médiévale, par le comma pythagoricien (en termes modernes, on obtient un si# et non pas un do, octave de la note de départ). Il est donc démontré aussi par les sons que six tons ne donne pas une octave. Aristoxène de Tarente parle aussi de demi-ton, quarte de ton, huitième de ton, etc. Leur inexistance a aussi été démontré par Euclide, mais certainement auparavant par Archytas. La raison en est l’indivisibilité de l’unité : Puisque le ton est 9:8, il est composé de deux sons. Le premier est formé par une corde de 9 unité, la deuxième par une corde de 8 unités. Pour que le ton soit départagé en deux intervalles égaux, il faudrait qu’il y ait un son se situant entre les deux cordes, et ayant la même relation avec l’une et avec l’autre. Si par exemple les deux sons du ton sont A et B, il faudrait avoir un son C tel que de la relation A à C soit la même que C à B. Ceci revient à trouver une médiété géométrique au ton. En mathématique moderne, ceci revient à dire qu’il faut calculer la racine carrée de 9:8. Une telle opération ne pouvait pas être conçue à cette époque là. Elle relève de l’irrationalité qui venait alors d’être découverte grâce à ce problème musical, et constatée aussi ailleurs dans la diagonale d’un carré (racine carrée de 2) [2]. Ainsi, la seule division possible du ton qu’on pouvait donner était la médiété arithmétique. Le ton 9:8 est équivalant à 18:16. La moyenne de 18 et 16 est 17. On obtient ainsi deux intervalles inégaux 18:17 et 17:16 qui sont proches du demi-ton sans l’être.

[1] Voir la traduction du texte euclidien par André Barabera : The Euclidean division of the canon greek and latin sources, University of Nebraska Press, 1991.

[2] Voir Maurice CAVEING : L’irrationalité dans les mathématiques grecques jusqu’à Euclide, Presse Universitraires du Septentrion, 1998.

6. L’incommensurabilité de l’octave et la consonance chez Mersenne.
Anas Ghrab, lundi 2 septembre 2002. [2003-05-21 21:02:27]

Marin Mersenne ne remet pas en doute l’incommensurabilité de l’octave. Il affirme “qu’il n’y a point de degré consonant ou dissonant qui puisse servir de mesure commune à l’Octave, […] et il n’est pas possible de trouver un intervalle ou degré tant petit qu’il soit qui puisse servir pour mesurer l’Octave, ou une autre Consonance.” [i] Il admet donc aussi que l’octave peut être divisée en une infinité de sons et d’intervalles. Ceci est dû à l’infinité de divisions arithmétiques qu’on peut effectuer afin de départager un intervalle en deux. En effect, l’octave 2:1 se devise arithmétiquement en deux comme suit : 2:1 est équivaux à 4:2, ce qui donne les intervalles inégaux suivants : 4:3 et 3:2 (la quinte et la quarte). Chaque intervalle d’entre eux peut être à son tour divisé : 4:3 équiv. 8:6, ce qui donne les deux intervalles 8:7 et 7:6 ; et 3:2 équi. 6:4, ce qui donne 5:4 (la tierce majeure), et 6:5 (la tierce mineur). On peut continuer la même opération indéfiniment (5:4 donne 10:9 et 9:8 ; appelées ton mineur et ton majeur). La division arithmétique étant simple à réaliser, il suffit de diviser la longueur de la section de corde par deux.

Le question qui se pose est donc : quels sont les intervalles à utiliser et combien de consonances y-a-til ? C’est à la proposition XXXIII que Mersenne aborde cette question : “Pourquoi il n’y a que sept ou huit consonance ? ” [1]. A savoir que ces consonances sont ceux utilisés par les musiciens, Mersenne les a exposés dans les propositions précédentes. Il s’agit de l’unissson, l’octave, la quinte, la quarte, les deux tierces et les deux sixtes. L’auteur précise à propos de la question que “cette difficulté est l’une des plus grandes de la Musique”. [2] Ainsi, il lui consacre autour de neuf pages, dans lesquels il expose les explications données généralement par les musiciens et ainsi que par différents personnages, dont Kepler (p. 85) et Jean de Murs (p. 84). Mais, aucune argumentation ne l’a convaincu. Les questionnements de Mersenne se focalisent alors sur les intervalles fournis par les rapports 7:1 et 9:1. Ces rapports sont obtenus par la septième et neuvième harmonique. Ils correspondent aux accords de septième et de neuvième [3]. Selon notre auteur, aucune raison convainquante ne permet de ranger ces deux accords hors du cadre des consonances ! Même en se basant, pour la détermination de la consonance, sur la qualité des nombres composants l’intervalle (il rejoint ici des conceptions pythagoriciennes dans l’appréciation des nombres), ou bien, sur l’oreille et ce que celle-ci conçoit comme agréable ou désagréable, Mersenne ne pose pas de solution. Il se contente donc de conclure qu’il se tient à ce nombre de consonnance, “puisque la pratique y est conforme” [4].

[i] Livre de la consonance, p. 35.

[1] Le nombre varie entre sept et huit, selon si on considère l’intervalle d’unisson comme consonance ou pas.

[2] p. 82

[3] Il faut faire attention ici car ces septième et neuvième ne dérivent pas des degrés de l’échelle, mais la série des harmoniques, même s’il s’agit des mêmes notes (on pensant évidemment dans une échelle naturelle et non pas tempérée). Ceci n’est que par hasard ! La sixième harmonique, par exemple n’est pas la note du sixième degré (en étant sur une tonique/fondamentale do, la sixième harmonique est un sol, alors que le sixième degré est un la).

[4] p. 87

7. Conclusion.
Anas Ghrab, lundi 2 septembre 2002. [2003-06-02 09:52:49]

Nous avons tenté de dégager dans ces quelques pages certains aspects exploités par Mersenne. Même si on se limite ici à une partie d’une œuvre impressionnante en taille et en contenu, celle partie n’est pas des moins intéressantes. Mersenne y expose les piliers de l’Harmonie Universelle. Il s’agit ici, entre autres, des consonances de base et du calcul des médiétés, qui seront exploités plus tard, dans le troisième volume de son ouvrage consacré aux instruments, et notamment dans l’étude des divisions du monocorde. Ce sont ces éléments qui, par analogie, prendront le caractère d’universel et seront réexploités dans divers domaines du savoir.

Comme on l’a vu, la source fondamentale de Marin Mersenne est la pensée grecque, que ce soit au premier niveau conceptuel à travers la notion d’universalité elle-même, ou au niveau des moyens techniques de calcul. Evidemment, cette pensée prend un aspect plus religieux, et en même temps plus humain. Ainsi, l’auteur confirme la notion d’unité, dont l’origine est logistique, comme concept fondamental, qu’il va développer à l’unité de Dieu. De ce fait, celle-ci devient source d’amour et d’union.

C’est par ces critères appartenant au monde supérieur que Mersenne explique les phénomènes du monde humain à travers la musique et les sons. Premièrement, il va chercher à réduire l’élément matériel des cordes vibrantes en s’intéressant plus aux battements eux-mêmes. Par conséquent, la consonance ne s’explique plus seulement par la qualité des nombres ou la nature de la relation entre la longueur des cordes de l’intervalle, mais par l’union des battements des deux cordes. Union est synonyme d’amour, d’où le plaisir que prend l’oreille à l’écoute de l’intervalle. En même temps Mersenne introduit la notion de la relativité de la consonance. Même s’il a séparé, pour des raisons de pratiques musicales, les consonances des dissonances, conceptuellement, le consonant ou le dissonant est mesuré par rapport à son rapprochement ou son éloignement de l’unisson.

Ainsi, le Livre de la Consonance semble présenter une logique interne relativement conforme à l’idée de l’Harmonie Universelle. Marin Mersenne arrivera-t-il à présenter une science totale dont les valeurs et les notions s’adaptent à tous les domaines de la connaissance ? C’est à travers l’étude de la totalité de l’œuvre qu’il faudra tenter de répondre à cette question.

8. Éléments bibliographiques.
Anas Ghrab, lundi 2 septembre 2002. [2003-05-21 21:12:15]

– CAVEING, Maurice : L’irrationalité dans les mathématiques grecques jusqu’à Euclide, Presses Universitaires du Septrion, Paris 1998.

– DEVIE, Dominique : Le tempérament musical, société de musicologie de Languedoc, Béziers, 1990.

– KEPLER, Jean : L’Harmonie du Monde, trad. Du latin par Jean Peyroux, ed. Bergeret, Bordeaux, 1979, ISBN : 2-85367-097-X.

– MATTEI, Jean-François : Pythagore et les pythagoriciens, PUF (collection Que sais-je), Paris, 1993.

– MERSENNE, Marin :

___Harmonie Universelle, 3vol., édition facsimié par le CNRS, Paris,1986.

___Questions Inouyes, Fayard, Paris, 1985.

___Harmonicorum Libri XII, ed. Aucta, Paris 1948.

– PARRAN, Antoine : Traité de la Musique théorique et pratique, contenant les préceptes de la Composition, Minkoff ed. facsimile de l’édition de 1639, 1972.

– SZABO, Árpád : L’aube des mathématiques grecques, Vrin, Paris, 2000.

Annexe : Les médiétés, définitions.
Anas Ghrab, lundi 2 septembre 2002. [2003-05-21 21:26:05]

« On appelle médiété une progression de trois termes tels que deux d’entre eux et deux de leur différences soient dans le même rapport » (R. TATON)

Porphyre :

Nombreux sont ceux qui parmi les Anciens, partagent cette opinion [qu’un intervalle est un rapport], comme Denys d’Halicarnasse ou Arcytas dans son Traité de musique […] Voici maintenant ce qu’Archytas écrit à propos des médiétés : En musique, il existe trois médiétés : arithmétique, géométrique et subcontraire, appelée encore harmonique. On parle de moyenne arithmétique, quand trois termes entretiennent entre eux une proportion selon un excès donné et que l’excès du premier par rapport au deuxième est celui du deuxième par rapport au troisième. Dans cette proportion, l’intervalle des deux plus grands termes est plus petit, tandis que celui des deux plus petits est plus grand. On parle de moyenne géométrique, quand le rapport des trois termes est tel que le premier est au deuxième ce que le deuxième est au troisième ; dans ce cas, l’intervalle des deux plus grands termes est égal à celui des deux plus petits. On parle de moyenne sub-contraire, celle que nous appelons harmonique, quand le rapport entre les trois termes est le suivant : le premier terme dépasse le deuxième d’une fraction de lui-même et le moyen dépasse le troisième de la même fraction du troisième. Dans une telle proportion, l’intervalle des plus grands termes est plus grand et celui des plus petits termes plus petit. (Commentaire sur les Harmoniques de Ptolémée, ed. Düring, p 92.) [i]

La médiété arithmétique :

La médiété arithmétique est certainement la plus simple et la plus ancienne, mais si on sais qu’elle existait chez les premiers grecs, aucun des premiers textes anciens ne la définit clairement. Toutefois, d’après A. SZABO, elle est définit dans un fragment d’Archytas donné par Porphyre:

On a une médiété arithmétique quand les trois termes ont , logos à logos, la différence suivante : le premier dépasse le second de la quantité dont le second dépasse le troisième. Dans cette égalité de logos , l’intervalle des grands nombres est le plus petit des deux, et celui des petits est le plus grand. [1]

Nicomaque de Gérase, auteur plus récent (vers 120 ap. J-C) mais important vu qu’il sera quelques siècles plus tard la source de Boèce, en donne la définition suivante :

Il y a donc médiété arithmétique lorsque, trois termes ou plus étant disposés ou conçus à la suite le uns des autres, la même différence selon la quotité est trouvée exister entre les termes consécutifs, mais sans que le rapport mutuel des termes soit le même, par exemple : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13 ; car dans cette ecthèse naturelle du nombre disposé continument et sans interruption, si l’on examine, tout terme placé au milieu de deux autres se trouve préserver vis à vis d’eux la médiété arithmétique ; car ses différences aux termes placés de chaque côté sont égales, mais le même rapport n’est pas préservé entre eux.

D’une manière générale, on peut définir la médiété, ou la moyenne arithmétique, de la manière suivante :

Les termes a, b, c sont en médiété arithmétique si c-b = b-a. Ce qui veut dire que b est la moyenne des termes a et c. C’est à dire, b= (a+c):2. Une propriété importante est signalée aussi bien par Archytas que par Nicomaque dans la suite de son texte, est que, dans une médiété arithmétique, le rapport des termes les plus petits est plus grand que celui donné par les termes les plus grand. Donc b/a > c/b .

La médiété géométrique :

La médiété géométrique bénéficie de plus de popularité dans l’esprit des premiers penseurs grecs puisque qu’on la distingue déjà dans les phrases suivantes extraites du Timée de Platon :

Chaque fois que de trois nombres quelconques, que ces nombres soient entiers ou en puissance, celui du milieu est tel que ce que le premier est par rapport à lui, lui-même l’est par rapport au dernier, et inversement et inversement que ce que le dernier est par rapport à celui du milieu, celui du milieu l’est par rapport au premier, le dernier et le premier pouvant à leur tour devenir moyens[…] [2]

Si dans le contexte, Platon l’utilise afin de montrer l’unité dans la construction de l’âme du monde, Aristote l’utilise dans son Ethique à Nicomaque, à deux reprise au moins (Chap. III et Chap. V), afin d’expliquer ce que c’est que la justice et l’égalité :

[…] En effet, il vous faut payer de retour le gracieux bienfaiteur et vous mettre, à votre tour, à être gracieux envers lui […] Prenons, par exemple, un architecte A, un cordonnier B, une maison C, une chaussure D. Il faut que l’architecte reçoive du cordonnier le travail de celui-ci, et qu’il lui donne en échange le sien. Si donc, premièrement, est réalisé cette égalité proportionnelle, les choses se passerons comme nous venons de le dire. Faute de quoi, l’égalité sera détruite et ces rapports n’existe plus. Car rien ne n’empêche alors l’œuvre de l’un de l’emporter sur l’œuvre de l’autre. Il faut donc les rendre égales.

D’autres définitions de la médiété géométrique sont données par des auteurs plus tardif comme Nicomaque de Gérase ou Euclide. Elles se résument toutes au fait que dans cette médiété, les termes a, b, c, d sont tel que : b/a= d/c. Des exemples très simples, fourni par Nicomaque, en sont données dans des suites numériques à rapports constants. Pour le rapport double on a : 1, 2, 4, 8, 16, 32, 64… 1/2=2/4=16/32. En rapport triple, 1, 3, 9, 27, 81, 243… 3/1=9/3=27/9=243/81. Une des propriétés importantes de cette médiété est que, pour trois termes successifs le produit des extrêmes est égal au carré du moyen. Si a,b et c sont alors ac= b2 . Par exemple, 3*27=92 = 81.

La médiété harmonique :

Comme pour les autres médiétés, la plus ancienne définition de la médiété harmonique est donné par le fragment d’Archytas :

On parle de moyenne sub-contraire, celle que nous appelons harmonique, quand le rapport entre les trois termes est le suivant : le premier terme dépasse le deuxième d’une fraction de lui-même et le moyen dépasse le troisième de la même fraction du troisième. Dans une telle proportion, l’intervalle des plus grands termes est plus grand et celui des plus petits termes plus petit.

Essayons de mieux comprendre cette définition. D’après Archytas, si on a trois termes a,b, et c, il faudrait que qu’il y ait ces trois conditions :
– Le terme a dépasse b d’une fraction de lui-même. Donc : a-b =a/n. (n, entier naturel)
– Le terme b dépasse c d’une fraction de ce dernier : Donc : b-c=c/m. (m, entier naturel) – La fraction de a soit la même que la fraction de c. Donc n=m.

Pour rassembler ceci dans une même formule, on peut dire que : Pour qu’il y ait médiété harmonique, il faut que les termes a,b, et c soient tel que : (a-b)/(b-c)=a/c . La propriété que fait remarquer Archytas est que dans cette médiété, contraiement à la médiété harmonique et c’est peut-être la raison pour laquelle il l’a appelé « sub-contraire », est que : si a>b>c, alors a/b > b/c.

On trouve aussi cette médiété passagèrement défini, en même temps que la médiété arithmétique dans le Timée de Platon :

La première [médiétés] surpassant l’un des extrêmes tout en étant surpassée par l’autre d’une même fraction de chacun d’eux, la seconde [la médiété arithmétique] surpassant l’un des extrêmes d’un nombre égal à celui dont elle-même est dépassée. [3]

Le même passage, dans une traduction donnée par R.Taton , est exprimé dans ces termes :

le moyen dépasse le premier extrême d’une partie de cet extrême égale à la pratie du second extrême dont il est lui-même dépassé par cet extrême. [4]

Au fil de siècles, les termes et les concepts se précisent ; la définition de Nicomaque de Gérase s’intègre dans une étude plus développée de la science de nombre :

Il y a en effet au troisième rang la médiété appelée harmonique, lorsque, dans trois termes, […] comme le plus grand terme est au plus petit, ainsi la différence du plus grand au moyen, est à la différence du moyen au plus petit. [5]

Remarquons que si on traduit la définition de Nicomque dans une notation plus moderne, on retrouve directement la relation établie à partir des termes d’Archytas : Si on a trois termes a, b et c tels que a > b > c, « comme le plus grand terme est au plus petit », c’est-à-dire a :c, sera identique, égale, au rapport entre « la différence du plus grand au moyen », a – b, et « la différence du moyen au plus petit », b – c. Donc a/c = (a – b)/(b-c). En plus, Nicomaque nous donne deux exemples de termes dans cette médiété. Le premier est avec les termes 3, 4 et 6 puisque 6/3 = (6-4)/(4-3) = 2/1 (le rapport double ) ; le deuxième est par les termes 2, 3 et 6, toujours dans la relation 6/2 = (6-3)/(3-2) = 3/1 (rapport triple ).

[i] Les présocratiques, p 535. Une autre traduction et une étude de ce texte est présentée dans l’ouvrage de M. Caveing, l’irratinalité dans les mathématiques grecques jusqu’à Euclide, p 48.

[1] A. SZABO : l’aube des mathématiques grecques, p 137.

[2] Platon, Timée, 32a.

[3] Platon, Timée, 36a.

[4] R.Taton : La science antique et médiévale, édition Quadrige/PUF 1994, p 230.

[5] Nicomaque de Gérase : Introduction arithmétique, traduction commentée de Janine BERTIER, édition VRIN, 1978, p 131.


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